Je veux comprendre… L’INCONSCIENT FREUDIEN feat. Wolverine

Comme cela commençait à faire longtemps depuis le dernier article, je sors de mon sommeil dogmatique !

Aujourd’hui nous allons parler d’un monsieur dont je ne sais que penser. Il continue de faire verser beaucoup d’encre, au point où on considère souvent qu’il y a deux types de personnes : ceux qui boivent ses paroles comme s’il avait battu la Nouvelle-Zélande en quart de finale de Coupe du Monde de rugby, et ceux qui soutiennent qu’il dit n’importe quoi et que ce n’est pas très fiable… Vous l’aurez compris, nous allons parler de Freud !

Certes, les théories de Freud relèvent plus de la psychologie que de la philosophie, mais sa thèse de l’inconscient (oui, c’est de ça dont on va parler) est intéressante prise dans le cadre du sujet et de la conscience. Et, pourtant (très) loin d’être une partisane de la psychanalyse, je trouve intéressant de porter un minimum d’attention aux idées des uns et des autres, y compris celles que l’on ne partage pas.

INTRODUCTION

Avant toute chose, on va commencer par se poser une question toute simple : « Suis-je transparent à moi-même ? » Autrement dit, puis-je me connaître en entier, sans que rien ne m’échappe, ai-je un contrôle total sur mon comportement, mes pensées, mon esprit ? D’ordinaire, on aurait tendance à répondre que oui, et c’est effectivement vers là que va Descartes lorsqu’il dit que nous sommes une « substance pensante ». C’est une position qui revient à dire que la conscience existe : et la conscience, c’est un truc qu’on a tous en nous et qui nous permet d’appréhender le monde (grâce aux sensations par exemple) et nos propres états intérieurs (les émotions, les pensées…). Grâce à la conscience, nous aurions le moyen de bien nous connaître, et aucune partie de nous ne pourrait nous échapper.

Sauf que cette façon de voir les choses va être sérieusement chamboulée par la théorie de l’inconscient, portée par un seul bonhomme. Ce monsieur dit, en toute simplicité, que ce que nous sommes ne relève pas de la conscience, une manière un peu polie d’affirmer qu’en fait, bah, on ne sait pas tout de nous-même. On nous cache des choses. Mais qui ça, « on » ? C’est nous. Sauf qu’on ne s’en rend pas compte… ce petit médecin viennois va instaurer des méthodes permettant de retrouver la trace de ces choses qui nous échappent : la psychanalyse naît ainsi entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle, en tant que cure par la parole. Et ce petit médecin ambitieux, élève de Charcot, c’est Sigmund Freud.

LE REFOULEMENT, ou la technique de l’autruche

On attaque directement avec une définition, parce qu’on est des vrais bonhommes nous ! Le refoulement, c’est le fait de rejeter une idée incompatible moralement ou esthétiquement avec notre conscience. Dit comme ça, ça peut paraître un peu abstrait, alors on va prendre un exemple, que Freud donne lui-même ! Sigmund raconte qu’un jour il a reçu une jeune femme dans son cabinet, souffrant de paralysie. A force de lui poser des questions, il a fini par comprendre que la demoiselle (appelons-la Michelle) était secrètement amoureuse de son beau-frère (le mari de sa sœur, donc). Mais Michelle n’acceptait pas ses sentiments, puisqu’ils étaient inconvenants, et les rejetait inconsciemment. Plutôt que d’accepter ce qu’elle ressentait (on imagine la gêne quand ils mangeaient le poulet dominical en famille…), Michelle a rejeté son amour, son désir et tout le reste en faisant comme si ça n’existait pas, comme si de rien n’était.

Megara/Michelle fait face à un problème existentiel. Michelle face à ses sentiments

Freud défend la thèse selon laquelle la maladie est constituée d’idées refoulées (comme l’amour de Michelle pour son beau-frère) qui s’expriment en nous par l’intermédiaire de notre corps. Le refoulement est le débarras de notre conscience : s’y trouve tout ce que nous ne pouvons pas assumer, tout ce qui est incompatible avec nos principes, notre conscience ( dans le sens « avoir bonne conscience », avec les règles morales et éthiques que nous nous imposons). Les problèmes de notre corps (ici, il est question de paralysie, mais ça peut aussi être des maladies psychiatriques, nerveuses et cérébrales) sont en vérité des indices, des symptômes qui ne font que montrer du doigt un mal-être intérieur et invisible. L’esprit de Michelle n’allait pas bien du tout, et elle le montrait sans en avoir conscience, à travers les troubles de son corps. Pour décrire cette idée, Freud utilise l’expression « hystérie de conversion », qui désigne tout simplement le fait de transformer un conflit psychique en symptômes physiques (c’est un phénomène psychosomatique).

Le but de la psychanalyse est justement d’identifier les idées refoulées et de les ramener à la conscience. Freud soutient que la plupart des idées que nous refoulons ont un rapport avec la sexualité (tu m’étonnes, ils devaient être grave frustrés à l’époque, surtout les femmes, qui ne pouvaient pas vivre leur sexualité comme elles l’entendaient !). Des fois, la cure par la parole que propose Freud fonctionne : le patient se livre totalement au médecin, qui se contente de l’écouter. Le but est de parler en faisant preuve d’une grande honnêteté et en n’omettant aucun détail, en oubliant le rôle du psychanalyste. Mais parfois, les choses sont plus compliquées, à cause de la résistance !

Les idées refoulées sont parfois si horribles, cruelles ou honteuses que le patient ne peut pas les accepter et refuse de les laisser venir à la conscience, compliquant la tache du psychanalyste. C’est ce que l’on appelle la résistance : le patient, pour se protéger peut-être, refuse de renouer avec ces idées.

Mais, on peut alors se poser une question… si ces idées refoulées ne vont pas dans la conscience… alors, où vont-elles ?

L’INCONSCIENT, ou la partie immergée de l’iceberg

Eh ouais ! C’est là que ça va ! Dans l’inconscient. Nous voilà bien avancés ! L’inconscient, c’est un peu le placard où se rendent toutes nos idées refoulées. Nous n’avons pas accès à une grande partie de nous-même, car l’inconscient reste inaccessible : c’est une partie de nous, mais on ne peut pas y aller. Imaginez une pièce de votre maison, dont vous auriez perdu les clefs…

Freud ne se contente pas de dire ça, puisqu’il va jusqu’à dire que le sujet n’est pas la conscience. Pour comprendre cette idée, on peut prendre l’exemple classique de l’iceberg : la partie émergée (donc visible) serait la conscience, et l’énorme partie immergée (donc invisible) serait l’inconscient.

Le Titanic n'avait pas l'air très au courant des théories freudiennes.
Allégorie de l’inconscient

Toutes les idées refoulées et inacceptables, ainsi que les passions afférentes, forment la matière de l’inconscient et sont les causes des maladies mentales. Freud parle de déterminisme psychique, et ce déterminisme trouve son origine dans l’enfance, où nous développons tous notre sexualité : cette période de latence se termine par la constitution du Surmoi (on va voir ce que c’est un peu plus loin) et le dépassement du complexe d’œdipe. Poursuivons doucement avec une petite définition :

Déterminisme psychique : c’est tout simplement le fait que le comportement et les pensées d’un individu sont déterminés par autre chose que lui-même, à savoir des mécanismes inconscients : le refoulement notamment. C’est une position très radicale, qui consiste à dire que le « moi n’est pas maître en sa propre maison ». Nous n’avons pas le contrôle absolu sur nos pensées ou nos décisions, voilà qui est inquiétant !

Le complexe d’œdipe, c’est une théorie selon laquelle tout enfant ayant deux parents ressent un grand amour pour le parent du sexe opposé, un amour libidineux et incestueux. A l’égard du parent du même sexe, les choses sont plus compliquées : il l’aime, l’admire et le voit comme un modèle à imiter, tout en le jalousant et en le considérant comme un rival qu’il faut éliminer. En d’autres termes, Freud soutient que tout petit garçon va vouloir côtoyer maman au lit et jalouser papa…

Je pense que c’est en grande partie à cause de ça qu’on rattache la psychanalyse et les idées refoulées à des conceptions graveleuses. C’est vrai que, du coup, l’inceste tient une place de choix dans la théorie freudienne…

Et c’est là qu’intervient la référence de cet article ! Les personnages avec un passé lourd de secrets ne manquent pas, mais j’ai jugé que Wolverine se prêtait assez bien au thème… on commence par une brève présentation du personnage, que tout le monde ne connaît peut-être pas !

Wolverine (Logan de son petit nom) est un mutant (rattaché au groupe des X-Men, et à l’univers de Marvel plus globalement, puisqu’on l’a déjà vu croiser Spiderman ou Hulk), et comme tout mutant, il a des pouvoirs. Pas de dons de télépathe pour Logan, ni de pouvoirs à la Superman : monsieur se contente de griffes rétractiles et de capacités de guérison hors du commun. De plus, Logan a servi ce cobaye lors d’expériences qui n’auraient certainement pas été approuvées par un comité d’éthique régional, et son squelette s’est retrouvé imprégné d’adamantium (le métal le plus résistant qui existe), ce qui fait que si on lui tire une balle sur le front, elle ricoche.

D’ailleurs, petite anecdote  : « wolverine » c’est aussi l’autre mot utilisé pour désigner les gloutons. Vous ne savez pas ce qu’est un glouton ?

Un glouton à l'air ronchon.

Un glouton.

Les plus jeunes reconnaîtront peut-être le carcajou dans Yakari, mais c’est surtout un animal (autrefois appelé « wolvérène »), de la taille d’un ourson, carnivore, solitaire et auquel il vaut mieux ne pas se frotter car on le dit féroce. Il est doté de griffes redoutables, et peut rivaliser avec un ours sans problème. Le personnage de Wolverine est donc inspiré de cet animal : petit, sauvage, bestial, et dangereux.

Mais retournons à Wolverine. Je vous passe l’histoire familiale compliquée, mais on peut néanmoins retenir qu’il tue son père biologique au moment où il découvre ses pouvoirs. Cela le traumatise tellement qu’il va « oublier »  tout ce passage de son enfance : ses capacités de guérison semblent aussi agir sur sa santé mentale… en effet, au cours de sa vie, Wolverine va subir ou commettre des tas de choses particulièrement horribles (il détruit une ville pour venger sa femme, tue une autre de ses compagnes par accident…), événements qui vont souvent s’effacer de son esprit. L’amnésie dont il souffre peut s’apparenter au refoulement que Freud décrit : son pouvoir de guérison cherche à le protéger des traumatismes, qui sont trop lourds à supporter et contredisent les règles morales qu’il a assimilées.

Si les étapes dans l’enfance décrites plus haut sont perturbées par des traumatismes, cela engendrera directement des symptômes ou des fragilités qui rendront le sujet propice à de nouveaux traumatismes et aux pathologies mentales… ce qui peut expliquer l’instabilité de Wolverine.

On l’a dit un peu plus haut, Freud redéfinit le sujet en organisant cette thèse de l’inconscient. Il propose un modèle en trois temps composé des trois parties du sujet :

  • le Moi : c’est la conscience au sens habituel, la partie émergée de l’iceberg. Freud parle aussi de « préconscient-conscient » : il s’agit de ce que nous avons oublié mais qui n’est pas refoulé, des idées et connaissances automatiques (par exemple nous avons oublié de quelle couleur était la voiture à notre droite au feu rouge, mais ce n’est pas refoulé).
  • le Ça : c’est l’inconscient, la partie immergée de l’iceberg.
  • le Surmoi : c’est par lui que se fait l’intériorisation des interdits !

Nous avons donc dit que le Surmoi était l’intériorisation des interdits, c’est à dire que que c’est grâce à lui que nous apprenons et retenons quelles choses sont mal vues dans la société ou la culture où nous grandissons. Le Surmoi diffère par le fait selon les cultures (toutes les cultures n’ont pas les mêmes interdits : en France les femmes ont le droit de marcher les jambes nues, alors que dans certains pays, non). C’est l’instance psychologique qui fait que nous nous refusons à faire certaines choses (c’est donc aussi l’origine de la pudeur). C’est à cause du Surmoi que vous vous sentiriez gêné et mal à l’aise si quelqu’un vous proposait de vous promener nu.e dans une école maternelle avec un plumeau sur la tête, par exemple. Pour éclaircir cette idée, on peut dire que le Surmoi est le gendarme de l’âme : il décide quelles idées vont dans la conscience et quelles idées sont rejetées dans l’inconscient, en fonction de leur caractère acceptable ou non. Si le Surmoi décide qu’une pensée est incompatible avec les mœurs de la culture dont il est imprégné, hop ! Aller simple pour l’inconscient.

(En fait… je viens de réaliser, mais… en fait… en fait le Surmoi, c’est un peu le premier écolo du monde… il a inventé le tri sélectif!)

lalalahAllégorie du Surmoi.

LES MANIFESTATIONS DE L’INCONSCIENT, ou les mauvaises surprises du quotidien

C’est bien joli tout ça, mais est-ce que l’inconscient se manifeste seulement par des maladies, à travers le pathologique ? Freud pense que l’inconscient se manifeste dans la vie de tous les jours, même chez les esprits sains, par le biais de trois « symptômes ». Pour chacun d’eux, nous allons donner des exemples.

  1.  les lapsus
  2. les actes manqués
  3. les rêves

On commence donc par les lapsus ! Un lapsus, c’est quand l’inconscient parle ou agit à notre place, exprimant des désirs dont on n’a même pas conscience, et brisant les barrières du Surmoi. Je vais donc vous rapporter quelque chose qui m’est arrivé à un ami.

Cet ami (appelons-le Jackson) rentrait donc tranquillement dans sa modeste chambre étudiante après une rude journée de cours, et croise par malheur un voisin de palier qu’il n’apprécie guère. Oh, Jackson ne le connaissait pas beaucoup, mais il en savait assez à son propos pour le trouver désagréable, et l’idée de bavarder avec lui ne l’enchantait pas plus que ça, surtout que le moelleux de son lit l’attirait beaucoup. Malheureusement, le voisin ne semblait pas du même avis, ce qui donna lieu à l’échange suivant :

– Salut !
– Adieu !

Pauvre Jackson. Dans le même style, on pourrait parler de la chanson « Hello, Goodbye » des Beatles, qui raconte l’histoire de deux jeunes gens qui s’aiment mais dont l’un envoie toujours bouler l’autre.

On m’a également rapporté une autre anecdote, dans la même veine. Un couple invite des amis à dîner chez eux… enfin, surtout la femme, car l’homme n’apprécie guère les invités. L’heure fatidique arrive, et la sonnette retentit, annonçant l’arrivée des importuns. Occupée en cuisine, la femme envoie son cher et tendre accueillir les invités. L’homme ouvre la porte, salue le couple avec son plus beau sourire, leur souhaite la bienvenue et leur propose d’entrer… avant de leur fermer la porte au nez.

Gandalf For4ver

Les actes manqués, c’est encore autre chose, mais c’est tout aussi divertissant.
Pour le dire grossièrement, un acte manqué, c’est quand on réalise une action, mais qu’on la rate lamentablement. Cela révèle un conflit inconscient. Par exemple, avoir l’habitude de ranger ses clefs tous les jours à la même place et de ne jamais les perdre SAUF le matin où l’on a un entretien d’embauche, c’est un acte manqué dans le sens où l’on peut se demander si l’on a vraiment envie d’obtenir ce travail… Cela peut aussi se voir lorsque l’on envoie un message à une mauvaise personne : si les sms avaient existé à son époque, Michelle aurait très bien pu se tromper et envoyer une déclaration enflammée à son beau-frère, par exemple, au lieu d’écrire « Salut vous venez à quelle heure ma sœur et toi dimanche ? Un poulet bio, ça vous va ? Ramenez le dessert svp ».  Freud soutient que la plupart des actes manqués ont lieu car le sujet a peur de quelque chose, mais toujours sans en avoir conscience.

On passe aux rêves, que Freud considérait comme la « voie royale » de l’inconscient, la meilleur manière de mener la cure à bien étant d’ analyser et interpréter les rêves pour comprendre l’origine du mal-être du patient. Le rêve est composé de deux éléments :

  • le contenu manifeste (l’intrigue principale du rêve, le scénario si vous voulez, ce qui est visible)
  • le contenu latent (l’origine du rêve, ce qu’il veut réellement dire : ce peut être un souvenir refoulé par exemple)

Le rêve trouve son origine dans le contenu latent, et doit être interprété : c’est un moyen de cerner ce que nous sommes en même temps qu’une pratique thérapeutique.

On a fait le tour ! J’espère que l’inconscient freudien est un peu plus clair pour vous ! N’oubliez pas que l’on peut être d’accord avec un penseur sur certains points sans pour autant embrasser la totalité de son travail : vous pouvez très bien reconnaître qu’il y a un inconscient, sans accepter l’idée de nous passons tous par le complexe œdipien, par exemple. Et heureusement !

Trois citations à retenir :

« L’origine des névroses est à chercher dans des traumatismes apparus durant l’enfance. »
« Les souvenirs oubliés ne sont pas perdus. »
« Des pensées surgissent subitement dont on ne sait d’où elles viennent : on n’est pas capable non plus de les chasser. »

8 réflexions sur “Je veux comprendre… L’INCONSCIENT FREUDIEN feat. Wolverine

  1. Oooh le gif de Freud à la fin ❤
    J'ai adoré decouvrir et redécouvrir ce cours de phiphi sur l'inconscient freudien (refoulé loin dans ma mémoire), et pourtant Sigmund me fait peur. Déjà parce qu'il a une tête de psychopathe (mais le psychopathe calme <-le pire !), mais aussi parce-que c'est un vrai destructeur d'enfance.
    C'est vrai, c'est vrai, il a bien fait de nous dire cette vérité, quand onouhre son esprit et qu'on admet tout va mieux. Mais des fois il disait des vraies conneries, des perles noires (Black Pearl *0*), et ça le rend moins crédible.

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    1. *(Heu oula: on ouvre, pas « onouhre »)

      J’ai kiffé aussi ton schéma sur le gendarme qui tri les dechets de l’inconscience. C’est toi qui l’a fait ? *-*

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  2. Hello hello à considérer le Hulk et ses différentes itérations colorées pour la pshychogie freudienne chez Marvel

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